Juillet 2023

Ne passez pas par la case prison

Marylène Carre (texte et photos et Ambre Lavandier (illustrations)

Vingt-quatre heures à peine après son arrestation, dans son transfert vers les locaux de la police judiciaire, David s’échappe. Le récit qu’il en fait dans son spectacle est rocambolesque. «Yin-Yin» et «Babar», les deux flics de la PJ qui l’escortent; en prennent pour leur grade. «Je les ai invités au spectacle; ils m’ont répondu qu’ils attendaient l’Olympia. Promis, si j’y arrive, je leur réserve des places au premier rang.» David est en cavale, il a retrouvé Nora, il bosse au Samu parisien et joue sur scène le soir. Pourtant, quelque chose cloche. ll en a marre de la vie clandestine. Il veut devenir quelqu’un de bien. Bosser honnêtement et rentrer chez lui le soir pour assurer la sécurité à sa famille. «Construire sur du dur. Nous, les bandits, on construit sur de la boue.» Il parle de son projet à Nora: il veut se rendre à la justice. Elle approuve et lui promet que, quel que soit le temps qu’il passera en prison, elle l’attendra. Alors David décide de se présenter le jour de son procès, le 27 janvier 2000. Il arrive au tribunal en courant, comme il s’était enfui deux ans plus tôt. Le verdict pourtant n’est pas tendre: il prend dix ans de prison. Après une ultime récidive, il sort en 2012 avec un bracelet électronique.

«J’ai voulu casser le destin»

La suite, il la racontera dans son prochain spectacle. David envisage une série sur scène et à la télévision. Un autre livre aussi, qui prendra la suite du premier publié en 2019 chez Flammarion, «David Declos, une histoire vraie». Il a tout un business plan dans sa tête, monté avec sa boite de production, L’adorable gang production, financée par des entrepreneurs caennais. Mais le prévisionnel a pris de plein fouet le Covid. «Ça commençait à monter, je faisais les plateaux télé, je suis passé chez Hanouna et puis tout s’est arrêté.» Depuis deux ans, il a repris la tournée, monté un nouveau spectacle avec Stomy Bugsy, «Un jour, j’irais à Détroit». Il est fier d’avoir signé avec ce projet avec le Ministère de la Justice pour tourner son spectacle dans les prisons. Il en a déjà fait 48, dont Caen en 2018. Il voudrait toucher encore plus de monde, notamment les plus jeunes. «Il faut provoquer le déclic le plus tôt possible.Avec Nora, ils ont trois enfants, de 18, 14 et 12 ans, qui sont fiers de leur père. Ils habitent une petite maison en région parisienne et vont à l’école privée. «J’ai voulu casser le destin».

Une marmite sur le feu

David revient régulièrement à Caen voir sa famille et les copains du quartier. Il le trouve un peu moins chaud qu’avant, quand on le comparait à Chicago dans années 1990 à 2000. «Mais il y a toujours une marmite sur le feu et quelquefois ça pète.» Comme lorsque Nabil, un gamin du quartier de 18 ans est tué par balle à bout portant en janvier 2020 devant le 19 rue Montcalm. Les jours suivants, une marche blanche réunit 500 personnes pour dénoncer «l’abandon du quartier par les autorités

David Desclos, le grand frère du quartier est là lui aussi, qui appelle au calme. «J’ai un peu sur la conscience d’avoir montré le mauvais exemple, déclare-t-il à Ouest France (édition du 30 janvier 2020). Je prends la parole pour montrer aux jeunes à quel point ils se trompent de chemin. Prendre un fusil est le pire des péchés. Cette mort fait souffrir des familles entières.Réfléchissez les gars: mettez vos talents du bon côté du chemin et vous allez tout déchirer. » À ses côtés, son complice des planches, star du rap, Stomy Bugsy, qui a grandi à Sarcelles, met en garde: «il ne faut pas les laisser dans la rue, sinon elle va les bouffer, les engloutir.» Ne pas laisser la marmite sur le feu, prévient David. «Si on laisse pousser la mauvaise herbe dans les quartiers, si on continue de fabriquer des fauves dans les prisons avec des conditions de vie inhumaines, parfois dignes des pays sous-développés, alors on va créer de nouveaux Bataclan, des attentats. Cette question nous concerne tous.»

À la fin de sa représentation dans la prison de Vannes, un détenu prend à part David. Il a perdu son père, son frère et son bébé. Il a plongé dans l’héroïne. Sa mère lui a conseillé d’écrire le récit de sa vie. Il se dit qu’il pourrait en faire quelque chose quand il sortira. Comme David Desclos.

Marylène Carre


Pour prolonger cette histoire:

À lire: David Declos, Une histoire vraie, Flammarion, 2019.
À écouter: David le braqueur de Pascale Pascariello dans Les Pieds sur Terre, France Culture

Marylène Carre

Co-fondatrice de Grand Format. Journaliste et auteure née en 1976. Travaille pour la presse régionale et nationale, explore les nouveaux médias et le documentaire sonore, anime des ateliers médias et des résidences de journalisme. 

Ambre Lavandier

Après des études à l’École de l’Image d’Épinal puis aux Arts Décoratifs de Paris, Ambre Lavandier rejoint la Normandie pour y poursuivre une démarche de création personnelle et collective. Elle fabrique des récits à travers ses images, ses films et ses histoires pour les enfants. Elle raconte les gens qui l’entourent, en portant son attention sur la manière dont chacun questionne sa place et invente son existence au contact des autres. « Les oreilles d’Alphonse » (éd. Didier jeunesse) est son premier album. 

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