Mars 2023

Les prix s'envolent, leurs vies basculent

Simon Gouin (texte) - Hélène Balcer (dessins)

Félicie dort sur son canapé pour éviter de chauffer l’étage

La France de Félicie, c’est un petit logement coincé entre deux maisons, le long d’une route passagère qui mène à Honfleur. Sur le buffet de la salle, une maquette de la maison de Monet, à Giverny, où Félicie a déjà eu la chance de dormir. Derrière elle, son canapé sur lequel elle dort, afin d’éviter de chauffer l’étage où se trouve sa chambre. Un rideau tente d’empêcher la chaleur de se faufiler là-haut.

Avec 1000 euros de retraite par mois, Félicie, 84 ans, est obligée de tout compter. «J’ai 650 euros de charges par mois, détaille celle qui était autrefois gouvernante puis garde à domicile. Loyers, eau, électricité, assurance… Cela augmente! J’attends avec impatience le chèque énergie. » A Noël, elle a pu manger «frais», comme elle dit, grâce aux tickets «restaurants» donnés par Fariborz, dont elle a dû mal à se souvenir du nom. «La vérité, c’est que je tape dans ce que j’ai mis de côté pour les pompes funèbres.»

Cette petite location, c’est un peu une malédiction pour Félicie. En 2014, quand elle la trouve, elle fait confiance à la propriétaire et ne se rend pas compte de la vétusté de la chaudière. Quelques années plus tard, une fuite d’eau est repérée. Le chauffe-eau qui date d’après-guerre est rouillé, et l’assurance refuse de prendre en charge la fuite. Elle ne peut pas payer la facture d’eau, et c’est là qu’elle rencontre pour la première fois Fariborz. Le Secours catholique lui donne un premier coup de pouce. Entre temps, Félicie a été opérée six fois du cœur. « J’étais condamnée en 2016. » Elle survit mais se trouve trop faible pour changer de location. Heureusement, dit-elle, le Secours catholique est là. « Mais je n’ai pas l’habitude de demander quelque chose. Je me suis toujours débrouillée seule. » En attendant, elle raconte la dernière galette des rois qui lui a permis de sortir et de rencontrer du monde.

Megan et la facture de trop

Elle non plus ne parvient pas à se souvenir du nom de Fariborz. Mais de leur première rencontre, elle s’en souvient. «Cela m’a fait du bien au moral d’avoir quelqu’un qui vous aide, raconte Megan. On se dit qu’on n’est pas toute seule.»

La nuit, l’appartement de Megan est parfois illuminé par les flammes des industries pétrolières du Havre, de l’autre côté de l’estuaire. Mais dans le studio de 24 mètres carrés qu’elle loue 460 euros, c’est plutôt le froid qui marque la jeune femme. Le froid qui passe sous la porte d’entrée et qui l’oblige à augmenter le thermostat des grilles-pains. Le froid qui fait bondir sa deuxième facture d’électricité à plus de 180 euros, pour un mois seulement! Une somme qu’elle n’a pas pu payer pendant plusieurs semaines, et qui a contribué à renforcer son endettement.

«C’est un cercle vicieux, explique-t-elle. J’ai eu de nouveau des agios… Je suis arrivée à un fort découvert dont je savais que je ne rembourserai pas avec un salaire.» La jeune femme travaille 27h par semaine à la réception et aux petits-déjeuners d’un hôtel. C’est son premier emploi salarié stable, qui lui a permis d’obtenir également son studio. Mais au moment de signer son bail, il a fallu payer une caution. «Ce sont des coûts que je n’ai pas réussi à assumer, avec derrière les factures à payer comme des courses ou l’électricité. Le salaire ne suffit pas. Le loyer, plus les factures d’énergie, la Wifi (c’est indispensable aujourd’hui), l’essence, l’assurance de la maison, la voiture… et puis il faut manger en plus. J’ai le malheur de fumer. On n’est jamais sans rien manger. On trouve une solution.»

«Une fois que les factures sont payées, tu n’as plus rien pour vivre…»

Megan a rencontré une assistante-sociale. Elle lui a proposé de faire un dossier de surendettement afin d’étaler ses dettes; et de rencontrer Fariborz. «Il m’a donné des bons alimentaires et des colis, pour que je puisse manger. Il n’y avait pas un euro sur le compte. Donc c’était compliqué. Cela m’a aidé.» Au fil de la discussion, Megan met des mots sur ce sentiment d’insécurité et de précarité qu’elle subit. «J’ai été très tendue… C’est bête à dire mais quand on n’a pas d’argent, ça se complique très vite pour tout. Pour payer ton loyer? Bah au bout d’un moment tu es dehors. Ce n’est pas la saison. Au-delà de ça, une fois que les factures sont payées, tu n’as plus rien pour vivre… c’est quelque chose, c’est dégouttant, c’est pesant dans la vie de tous les jours. Aller boire un verre avec les copains au bar, tu ne peux pas. Admettons, un truc plus simple, un petit plat autre que des pâtes et du blanc de poulet ou des knacki ou des œufs, cela fait plaisir… Si on n’a pas tout ça parce qu’on ne peut pas se le permettre, la vie ne devient pas grand-chose. C’est seulement travailler, se priver, payer ses factures parce qu’il faut au minimum se loger. On n’a plus rien ensuite. Si, la télé, c’est cool.»

Le CDD de Megan pourrait se transformer en CDI. Une étape vers plus de stabilité, et moins d’inquiétude face à l’avenir. Mais fin février, Megan a reçu une nouvelle facture d’électricité: 320 euros. «Je ne sais pas comment la payer.»

Le dernier épisode de ce reportage sera publié mercredi 22 mars.

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