La ville de demain nécessite de penser l’aménagement urbain dans le cadre du réchauffement climatique. Durant cet été caniculaire, Olivier Cantat, géographe-climatologue à l’université de Caen, a pu mesurer le phénomène des îlots de chaleur urbain.
Pouvez-vous nous expliquer ce phénomène?
En avril 2022, nous avons installé, à titre expérimental, dix mini stations météo capables d’enregistrer des mesures très locales de température, d’humidité, de rayonnement, de vent… dans différents endroits de la ville de Caen. Il s’agissait de pouvoir quantifier concrètement l’impact des différents modes d’occupation du sol sur le bilan thermique local, notamment entre le centre ancien de la ville et sa périphérie «verte» (La Prairie).
L’étude apporte des éléments de réponse objectifs sur le rôle de la nature en ville comme élément de confort climatique et notamment l’atténuation des effets du changement climatique. Ainsi cet été, au cœur de la canicule, avec 40°C en journée, la nuit du 19 juillet est restée très chaude place Bouchard (25 °C), un peu moins place Foch, à proximité de la Prairie (21°C) et encore moins sur la Prairie (19°C). La végétation a réduit la chaleur en jouant son rôle de climatiseur naturel, grâce principalement à l’ombre et à l’évapotranspiration générées par les plantes et à l’eau (rafraîchissement par évaporation).
À l’inverse, les matériaux de construction emmagasinent la chaleur solaire et la restituent de façon différée. Les îlots de chaleur urbains sont de ce fait avant tout un phénomène nocturne, par temps clairs et calmes, qui permettent la formation de cette fine couche d’air influencée par la ville. Par temps couvert ou venteux, l’absence d’apport solaire direct ou le brassage de l’air empêchent cette singularité urbaine.
Quelles conclusions ou préconisations peut-on en déduire?
Qu’il faut de la nature en ville, en particulier des arbres! Pour répondre aux objectifs du développement durable, la ville de demain nécessite de penser l’aménagement urbain dans le cadreglobalduréchauffement climatique planétaireet dans le cadrelocaldesîlots de chaleur urbains (ICU), qui en accentuent les effets. La croissance des villes à laquelle nous assistonsamplifie les ICU et les risques sanitaires induits. Le danger est majeur durant les périodes caniculaires.
«Lutter à l’échelle de la ville, à travers des politiques locales»
La question est donc de savoir comment réduire la vulnérabilité des populations au réchauffement climatique en général et aux effets de l’ICU en particulier. La réponse nécessite une gestion des températures à différentes échelles. Pour le réchauffement climatique planétaire, la limitation doit se concevoir à l’échelle mondiale, essentiellement à travers des politiques internationales de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Pour l’ICU, l’atténuation s’envisage à l’échelle de la ville, à travers des politiques locales.
Quelles formes urbaines, architecturales permettront de diminuer l’échauffement en journée ? Faut-il débitumer ? Comment laisser plus de place aux arbres ? Les leviers d’action passent principalement par la modification de la forme urbaine et le développement de la nature en ville, avec la création d’îlots de fraîcheur urbains, comme le Jardin des Plantes à Caen. On pourra aussi atténuer le phénomène en modifiant les matériaux utilisés pour les revêtements (plus réfléchissants et/ou stockant moins la chaleur…), ou en utilisant d’autres techniques comme les pavés drainants pour conserver de l’humidité dans le sol, à l’image du projet en cours sur la rue d’Auge à Caen, mais aussi limiter les phénomènes d’inondation lors des violentes averses…
Cette première étude sur Caen était expérimentale. Comment allez-vous poursuivre vos recherches?
À la vue des premiers résultats sur le cœur de ville, nous souhaiterions élargir notre connaissance de l’ICU caennais en ajoutant des stations périphériques dans l’agglomération. Parallèlement, un projet sur les petites villes normande se met en place pour mettre en évidence des effets de l’urbanisation à des échelles beaucoup plus fines. Un micro réseau de mesure automatique va être installé sur la commune de Colomby-Anguerny (environ 1200 habitants, à 10 km au nord-ouest de Caen).
La Métropole de Rouen s’intéresse à l’expérience caennaise et envisage de se doter également d’une instrumentation. Cela permettra de comparer les conditions thermiques dans une agglomération au contexte géographique très différent de celui de Caen: une grande vallée loin de la mer, au relief plus contrasté, plus peuplée et industrialisée, entourée de nombreuses forêts.
Propos recueillis par Marylène Carre