Comme dans le reste de l’hexagone, la construction d’infrastructures routières fait l’objet de vifs débats dans la Manche. De Saint-Lô à Coutances, en passant par Granville, Avranches et Cherbourg, les projets sont parfois en discussion depuis plusieurs décennies, entre réglementations environnementales et impératifs économiques. Décryptage.
Episode 1 : Des serpents de mer
Dans le nord Cotentin, entre les communes d’Octeville et Martinvast, Alain Poirier, Philippe Rousselet et Anne-Marie Duchemin sont savamment emmitouflés dans leurs habits d’hiver en cette matinée de janvier. Les premiers sont membres de la Coopérative citoyenne de Cherbourg, quand la doyenne du groupe est présidente de l’association Cotentin Nature. Au milieu d’un champ cerclé de chênes et de hêtres, tous trois scrutent avec attention la carte qui représente les différents fuseaux imaginés dans le cadre du projet de contournement sud-ouest de Cherbourg-en-Cotentin.
Dans les cartons depuis les années 90, ce vieux « serpent de mer », comme certains l’appellent parfois, a initialement été pensé pour désenclaver la ville portuaire, fluidifier la circulation et faciliter l’accès à des pôles d’emploi stratégiques comme l’usine de recyclage de combustibles nucléaires d’Orano, à La Hague. En décembre 2024, après plusieurs décennies de rebondissements, le conseil départemental de la Manche a finalement retenu deux fuseaux pour le projet de contournement, aujourd’hui chiffré à 100 millions d’euros. « Ces fuseaux vont constituer une base de travail pour commencer à dessiner un tracé », explique Axel Fortin Larivière, vice-président en charge des déplacements au Département, joint par téléphone. Rien qui, en l’état, permette pour autant de satisfaire les opposants au projet. « C’est précisément ici que le viaduc [d’une longueur d’environ 500 mètres de longueur, le viaduc de franchissement de la vallée de la Divette est une des pièces maîtresses du projet, NDLR] arriverait si le projet avait lieu », lâchent d’une même voix Alain Poirier et Philippe Rousselet en relevant les yeux de la carte, bientôt rejoints par Anne-Marie Duchemin. « Ce projet serait catastrophique pour les écosystèmes, dit-elle en balayant du regard le bocage autour d’elle. Tout le paysage que nous voyons autour de nous serait complètement bouleversé. »
Anne-Marie Duchemin, présidente de l’association Cotentin Nature et Philippe Rousselet, membre de la Coopérative citoyenne de Cherbourg.
Des balades citoyennes sur site
Artificialisation des terres, destruction du bocage, morcellement des parcelles agricoles ou disparition des zones humides, la liste des griefs à l’encontre du projet de contournement est longue. Autant de raisons pour lesquelles la Coopérative citoyenne a fini par se positionner contre le projet de contournement tel qu’il est proposé aujourd’hui. « Mais à l’origine, nous n’avions pas d’opposition de principe, insistent les deux membres de la Coopérative. En nous positionnant lors des élections municipales [de 2020, NDLR], nous voulions avant tout qu’il puisse y avoir un réel débat démocratique sur le projet », poursuivent Alain Poirier et Philippe Rousselet. Loin des cartes et des dossiers parfois difficilement lisibles, la Coopérative a ainsi organisé des balades citoyennes sur les sites qui pourraient être impactés par le projet. « On voulait que les gens puissent se figurer par eux-mêmes les impacts concrets du projet », détaillent-ils.
Alain Poirier, membre de la Coopérative citoyenne de Cherbourg. Dans le Nord-Cotentin, les chemins bocagers sont menacés par les projets de contournement de Cherbourg.
Ces impacts concrets ont justement conduit une trentaine d’habitants de Tonneville et Martinvast à se regrouper au sein du collectif Stop contournement. « Les membres du collectif sont très éloignés des partis politiques ou des milieux associatif et militant, entame Quentin Briegel, un membre du collectif. Mais ce qui les a poussés à se réunir, dit-il en leur nom, c’est la perspective d’un projet qui les impacterait presque physiquement. » De fait, le collectif regroupe autant « des habitants potentiellement impactés par l’édification d’un viaduc à proximité directe de leurs habitations que des agriculteurs qui risqueraient de voir leurs parcelles agricoles morcelées », continue Quentin Briegel, refusant pour autant que le collectif soit réduit au strict « Not In My Backyard » (Pas dans mon arrière-cour). « Ce sont des citoyens qui ont entendu les appels des experts du GIEC et qui ont pris la mesure des enjeux environnementaux liés à la consommation d’espaces naturels et de sols agricoles », conclut-il.
À suivre, dans le second épisode publié la semaine prochaine sur Grand Format : Désenclaver n’est pas bitumer. D’ici là, abonnez-vous à nos newsletters pour ne pas manquer nos prochaines publications.