Avril 2025

La détresse des paysans face à la tuberculose bovine

Simon Gouin, Sophie Chapelle et Emmanuel Blivet (photos)

Peut-on réellement en finir avec cette maladie ? Etienne Gavart, le directeur du Groupement de défense sanitaire Calvados, un syndicat d’éleveurs et de vétérinaires présent dans chaque département, en est convaincu. « On espère même gagner la guerre. » Et c’est pour cela, explique-t-il, que les abattages totaux sont justifiés afin de ne pas laisser une vache recontaminer ses voisines. : « Un test négatif n’indique pas forcément qu’une bête ne porte pas la maladie. L’inspection visuelle à l’abattoir et les tests pratiqués ne suffisent pas à dire qu’une bête n’était pas touchée », prévient Etienne Gavart. Le GDS accompagne aussi les éleveurs dans l’installation d’ouvrages de biosécurité : renforcer les clôtures, surélever les abreuvoirs… pour éviter les échanges avec la faune sauvage.

« S’il y avait une autre solution technique à l’abattage total, je la préconiserais, ajoute-t-il. Des abattages partiels ont parfois été menés, mais on a retrouvé la tuberculose deux, trois ou quatre années après. Cela veut dire que ces abattages sélectifs n’ont pas fonctionné. Le risque de diffusion dans le voisinage a été maintenu. Donc on a tout perdu en faisant ça. »

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Voilà 15 ans qu’Etienne Gavart lutte localement, avec sa structure, contre la tuberculose bovine dans le département. Avec comme objectif de conserver le statut de pays indemne, obtenu en 2001 par la France : moins de 1 élevage pour 1000 touché par la maladie, afin de pouvoir continuer à exporter les bêtes, la viande et le lait français. La lutte contre la maladie est arrivée dans la dernière ligne droite, explique-t-il, tout en compatissant pour les épreuves endurées par les éleveurs touchés. « Je soutiens la politique de l’État pour en finir avec la tuberculose bovine. »

« S’il y avait 25 % d’animaux positifs aujourd’hui, il serait idiot d’abattre tous les troupeaux concernés. »

Si les GDS luttent désormais contre de nombreuses maladies comme la fièvre aphteuse ou la grippe aviaire, c’est pour faire face à la tuberculose bovine qu’ils ont été créés après la Seconde guerre mondiale. À l’époque, cette maladie était très présente : dans les années 1950, on estime que 25 % du cheptel français était touché. Seuls les animaux positifs étaient abattus. À la fin des années 1990, seuls 2 % des animaux étaient positifs. Sous l’influence des règlements européens, la France tente alors de passer à « l’éradication » de la maladie.

« S’il y avait 25 % d’animaux positifs aujourd’hui, il serait idiot d’abattre tous les troupeaux concernés, explique Etienne Gavart. Mais comme il n’y en a qu’1 pour 1000, il faut abattre par précaution, afin de ne pas contaminer toute une exploitation. » Sur la dernière campagne de prophilaxie (tests intradermiques) menée entre la fin 2024 et mars 2025, « nous n’avons jusqu’à maintenant pas de cas de tuberculose et pas de suspicion sérieuses », rapporte le directeur du GDS.

La souche réapparue était présente il y a 25 ans

Dans le Calvados, c’est en 2013 que la maladie a refait son apparition, dans le cadre de ce que l’État appelle une surveillance passive. Lors d’une inspection visuelle réalisée à l’abattoir, une bête est identifiée avec des lésions. Les années qui suivent, des tests sont réalisés dans des rayons de plus en plus éloignés de la ferme concernée. La mycobactérie est retrouvée. Son identité génétique : GB35, une souche déjà présente en Normandie 25 ans auparavant. Pourquoi est-elle réapparue ? « Les tests ont été arrêtés dans les années 2000, peut-être un peu trop tôt », relate Vincent Rivasseau, chef du service santé et protection animales de la DDPP du Calvados.

Pour le représentant de l’État, l’éradication totale de la maladie est pourtant faisable. « La maladie ne s’est pas installée dans la faune sauvage, contrairement à d’autres départements. Toutes les conditions sont favorables à l’assainissement. On a des tests plus performants. Si, cette année, il n’y a pas de cas, cela ne veut cependant pas dire que c’est totalement fini. On est quand même sur quelque chose qui diminue. »

Des animaux ont-ils été abattus pour rien, puisqu’ils ne portaient pas de lésions visibles ? « C’est une réflexion qu’on peut avoir a posteriori, répond le chef de service. Mais au moment où l’on prend cette décision, c’est parce qu’on n’a pas pu définir que les animaux ne pouvaient pas être contaminés, qu’ils ne s’étaient pas croisés. »

Une autre façon de gérer la maladie ?

« Le plus dur, ça a été les petits veaux. Il y en a une cinquantaine qui naissent aux mois de février, mars. Ils ont été euthanasiés, parfois juste après être nés. » Sur la scène de la salle des fêtes de Cahagnes, dans le Calvados, Guillaume Lefoulon, un éleveur, raconte le calvaire qu’il a subi lors d’une réunion publique sur la tuberculose bovine, le 27 mars dernier. 560 bêtes abattues il y a quatre ans pour 7 vaches détectées avec le test et un cas de tuberculose confirmé. « Psychologiquement, ça vous détruit. Suite à ça, je me suis effondré », dit-il sobrement devant les 80 personnes rassemblées ce soir là. Silencieuses, elles encaissent les récits de plusieurs éleveurs qui, tous, racontent la même détresse et l’anéantissement du travail d’une vie.

La femme d’un agriculteur ajoute : « Tout le monde demandait : comment ça va Emmanuel (son mari, ndlr) ? Mais moi-aussi j’ai été touchée, comme nos enfants et les grands parents. Et on ne me demandait pas comment j’allais. » La sociologue Jocelyne Porcher, spécialiste du lien entre les animaux et les humains, prend la parole : « Ce qui me frappe, c’est la violence des services de l’État qui ordonnent ces abattages totaux en déniant le lien d’attachement et d’affection entre les éleveurs et leurs animaux. L’argent fait problème, mais ce qui pousse à la dépression, c’est la souffrance affective. »

La tuberculose bovine pourrait-elle être gérée autrement ? Le collectif le revendique. Eric Méens, un vétérinaire de la région propose plusieurs pistes pour s’attaquer différemment à la problématique. Identifier le génome des vaches à risque, vacciner les blaireaux, renforcer l’immunité des bovins lors de périodes critiques, travailler sur leur microbiote et sur la qualité des sols…

Un nouvel horizon s’ouvre pour les éleveurs. La député européenne Emma Fourreau a déposé une question écrite auprès de la Commission européenne. « Faites changer la réglementation ! », lance le président du GDS 14, Jonathan le Nourichel, après avoir défendu la politique actuelle menée : « L’éradication, ça prend cinq ans ! (…) On travaille pour l’intérêt collectif ! » « Ou pour nous enterrer ? », lui répond, en colère, un agriculteur.

Simon Gouin avec Sophie Chapelle (Basta!)
Emmanuel Blivet : photos

Emmanuel Blivet

Photographe

Photographe, Emmanuel est un compagnon de route de Grand Format depuis sa création. Il expose régulièrement ses travaux dans le grand ouest et ailleurs, répond à des commandes et cartes blanches de la presse et d’entreprises, et croise son regard avec des journalistes et des artistes lors de résidences territoriales.

Simon Gouin

Journaliste et co-fondateur de Grand-Format. Passionné par l’enquête et le reportage au long cours, sur des sujets qui passent sous les radars médiatiques.

Sophie Chapelle

Journaliste à la rédaction de Basta!, elle s’occupe en priorité des sujets liés à l’écologie. Passionnée par les questions agricoles et alimentaires, elle multiplie enquêtes et reportages depuis plus de dix ans, pour mieux comprendre les dessous de nos assiettes.


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