Avril 2024

Écoterroristes

Guy Pichard, Laura Bayoumy, Simon Gouin - illustrations : Antoine Perus

Alain, Orne

« Tout est fait pour qu’on se sente un grand criminel, pour nous faire craquer.»

« Les policiers de la Sous-direction anti-terroriste (Sdat) sont venus à quatre cow-boys chez moi à 6h du matin, avec un chien. Heureusement, ma compagne les a entendus et leur a ouvert la porte avant qu’ils ne tentent de la défoncer. J’ai été emmené pour une garde à vue qui a duré 76h.

On n’a aucune info à l’intérieur, on est dans un tunnel. Tout est fait pour qu’on se sente un grand criminel, pour nous faire craquer. Pas de violences physiques apparentes, mais de nombreuses violences sourdes. Des humiliations, des brimades.

C’est sans compter les conditions de garde à vue déplorables, la difficulté d’accéder à l’eau, aux toilettes. J’ai été contraint de rester dans une cellule pleine de gobelets remplis d’urine. D’anciens plats d’où gesticulaient pleins d’asticots et de mouches jonchaient le sol.

Il y avait une odeur insupportable, de la saleté, de la moisissure, aucun moyen de se laver, un seul toilette, immonde et sans papier.

La lumière toute la nuit, le bruit, les gens qui hurlent dans les cellules voisines, toute la misère du monde enfermée dans un cinquième sous-sol d’hôtel de police m’empêchait de fermer l’œil. On n’a plus conscience de l’heure qu’il est. Il faut dire que certains policiers geôliers profitent de la situation pour se lâcher et nous humilier.”

Selon moi, la garde à vue est clairement punitive et veut revêtir un caractère dissuasif. Dans le même temps, je me suis également rendu compte qu’on a la chance d’être dans un état de droit, et que ces droits élémentaires sont une grande bouffée d’oxygène, qu’ils doivent être défendus et étendus quoi qu’il en coûte.

« On est là pour la vie, pour le vivant, soit l’exact opposé du terrorisme. »

Même si l’expérience que je viens de vivre est incomparable et dérisoire, on pense immanquablement à toutes celles et ceux qui se sont battus et ont connu de longues périodes d’enfermement pour faire advenir leurs idées d’émancipation. Et on peut à peine envisager la force d’esprit qu’il a fallu à ces résistants en tous lieux et en toutes époques lorsqu’au bout de quatre jours on est épuisé moralement. Puis on pense aussi à ce pour quoi on est là. Ce pour quoi on est accusé, et qui dirige l’enquête. Et on se dit que c’est un comble.

Un comble que ce soit la Sous-direction anti-terroriste qui mène les opérations, d’abord parce qu’on est là pour la vie, pour le vivant, soit l’exact opposé du terrorisme. Pour moi, le terrorisme, c’est le parti de la mort. C’est aussi un comble que cette même Sdat se mette au service d’une société qui a soutenu activement le terrorisme de Daesh.

Les criminels ne sont pas ceux que l’État, les médias, les policiers et les magistrats montrent du doigt. C’est une manipulation sémantique, un truc orwellien.

Je savoure ma liberté depuis que je suis sorti, mais je suis un peu anxieux pour la suite. Le domicile de ma compagne a été violé, en quelque sorte. On ne se sent plus vraiment chez soi et le cœur s’emballe vite au moindre bruit. Il y a des appréhensions.”

Michel, Eure

« Le temps devient alors quelque chose de relatif et c’est ce qui va être le plus dur à encaisser psychologiquement.»

« Contrairement à beaucoup d’autres, c’est la Sdat (la Sous-direction anti-terroriste de la direction nationale de la police judiciaire, ndlr) qui est venue chez moi et ma compagne. Et nous n’avons subi aucune violence. Ils ont pris en photo tout ce qui pouvait paraître de gauche dans mon appartement. Un exemple : Coup d’État de Juan Branco a été saisi mais pas la très belle édition de De L’Esprit des Lois, de Montesquieu. Ils ont aussi perquisitionné notre véhicule et ma femme s’est donc retrouvée menottée dehors au petit matin entourée de policiers anti-terroristes cagoulés… moyen vis-à-vis du voisinage. Cela a duré 1h30. Je n’étais pas menotté car les policiers ont vite compris que je n’avais pas un profil agressif. Ça a été différent pour ma compagne qui a eu un coup de pression rapidement de la part des deux enquêtrices chargées d’elle.

On me bande alors les yeux et nous partons en voiture, sans que je n’obtienne de réponse à mes questions sur la destination. Je n’ai pas eu peur mais j’ai tout de suite trouvé ridicule ce cirque des proportions des moyens employés… À l’arrivée, je devine que l’on s’enfonce dans un sous-sol de 4 étages. Je suis alors mis en caleçon pour être fouillé. C’est alors que l’on me présente ma cellule, avec une pointe de fierté des policiers car elle est individuelle et relativement propre.

Le temps devient alors quelque chose de relatif et c’est ce qui va être le plus dur à encaisser psychologiquement. Moi et ma compagne, nous avons vraiment ressenti cela comme un kidnapping.

Les repas tiennent du running gag. Le premier, on me propose « riz méditerranéen ou couscous légumes ». C’est une bonne surprise sur le coup mais cela s’avère en fait une sorte de harcèlement. C’était très mauvais et surtout, ces deux choix-là étaient proposés à chaque repas pendant les trois jours.

« J’ai vite compris que ma compagne passait après moi et j’ai réussi à lui faire un cœur en papier mâché sur le mur de la douche… elle m’a dit après l’avoir trouvé !»

Chaque matin et chaque soir, un nouvel agent nous fouillait à nouveau, ainsi que la cellule. Au réveil, le petit-déjeuner était constitué de deux biscuits puis c’est l’attente. J’ai par exemple entrepris de récupérer une chaussette supplémentaire pour tenter de jongler avec en cellule. L’avocat était la seule interaction bienveillante de la journée.

La douche quotidienne pouvait durer entre 5 à 10 minutes et constituait le seul instant de liberté possible. On y était emmené selon l’ordre des numéros de cellule. J’ai vite compris que ma compagne passait après moi et j’ai réussi à lui faire un cœur en papier mâché sur le mur de la douche… elle m’a dit après l’avoir trouvé !

J’ai toujours essayé de blaguer et de parler avec les matons. Ainsi le matin par exemple, quand la porte s’ouvrait je demandais un double expresso et des œufs brouillés. Au bout de quelques jours, certains d’entre nous auraient préféré aller carrément en prison car là-bas, il y a au moins de la lumière, des humains, de la lecture, etc. Tout plutôt que le trou où l’on était.


J’ai seulement pu appeler ma mère au bout du troisième jour afin de la rassurer. Avec le recul, j’ai le sentiment d’avoir été plus libre dans ma cellule que eux pouvaient l’être dans leur uniforme. Le sentiment d’être totalement extérieur à ce qui s’y passait m’a aidé à tenir, ma compagne a même pensé cela comme un reportage, voire une immersion.»

Une partie des militants interpellés seront jugés le 27 juin, à Évreux.

Propos recueillis par Guy Pichard, Laura Bayoumy et Simon Gouin.
Un récit illustré par Antoine Pérus.

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