Avril 2024

Écoterroristes

Guy Pichard, Laura Bayoumy, Simon Gouin - illustrations : Antoine Perus

Mathilde, en campagne près de Rouen

« Étant mère de deux enfants de 4 et 8 ans, j’ai demandé qu’ils ne rentrent pas armés et cagoulés devant eux. Bien évidemment, ils l’ont fait quand même…»

« Ils ont débarqué chez moi à 7h car il y avait erreur de maison. La famille voisine est traumatisée car la BRI a notamment plaqué la femme au sol ! En fait, cette pauvre famille a pris la déflagration à ma place avec cette erreur, et en plus ils n’avaient de fait pas l’autorisation de défoncer ma porte. Ils m’ont demandé de venir sans rentrer chez moi et j’ai même entendu l’un des policiers se faire engueuler au téléphone. Étant mère de deux enfants de 4 et 8 ans, j’ai demandé qu’ils ne rentrent pas armés et cagoulés devant eux. Bien évidemment, ils l’ont fait quand même… Mais j’ai tout de même évité les hurlements dans la maison. C’était moins violent que prévu, mais ça reste choquant de voir sa maman se faire arrêter par 15 policiers armés. Mon compagnon a pu s’isoler avec mes enfants et trouver les mots, en expliquant que leur maman se faisait arrêter car « elle cherche à protéger la planète ».

Une fois les yeux couverts, nous nous sommes rendus à Levallois-Perret en roulant à 180 km/h. On m’a seulement débandé les yeux une fois dans la salle de fouilles. J’ai terminé en culotte afin que mes vêtements soient palpés puis c’était la cellule pour trois jours. Ce fut moins long que pour d’autres car au final, on n’avait rien à se dire !

Beaucoup de mes livres ont été photographiés et ils ont gardé un recueil de textes politiques et On ne dissout pas un soulèvement. 40 voix pour les Soulèvements de la Terre. Ils ont aussi saisi beaucoup d’affiches, comme celle de Tarnac, de la ZAD et des Soulèvements de la Terre.

« Je sentais que j’allais péter un câble (…) Personne ne vous donne jamais l’heure. »

Étant classé sans suite, je vais demander à tout récupérer et que mon ADN soit effacé. La Garde à Vue a été un isolement total. Vous ne croisez pas les autres dans le même cas. C’est très aseptisé et au bout de trois jours, je sentais que j’allais péter un câble. Personne ne vous donne jamais l’heure et les seuls échanges sont avec le médecin et lors des interrogatoires. Des sénateurs m’ont rendu visite le deuxième jour, cela m’a vraiment aidée à tenir.

À la fin des trois jours, on me stipule que c’est terminé et je pense aller au tribunal mais on me rebande les yeux. A nouveau, les véhicules roulent à grande vitesse et là, le mien s’arrête. Un fonctionnaire me demande si je comprends ce qui se passe. « Tu es sans suite » On m’a alors relâchée dans la rue avec mes affaires. Dans mon sac, j’avais un sachet avec ma petite culotte à l’intérieur. Ils l’avaient gardée pour prélever mon ADN.

On m’a quand même accusée d’avoir séquestré un otage et au final, c’était moi qui avait les yeux bandés et qui était menottée dans une voiture. Tout a été fait pour nous briser. Lors de la perquisition, ils ont cherché à construire un personnage, une figure monstrueuse. Cette volonté de nous isoler a totalement échoué car pendant que l’on croupissait en prison, un grand élan de solidarité s’est créé. Un soutien psy s’est monté, nos proches ont été contactés et on a même gardé mes enfants. Aujourd’hui c’est donc tout le contraire, j’en ressors renforcée et je me suis fait de nouveaux amis. »

Dimitri

« Ils ont pris en photo et saisi des fresques du climat en me questionnant sur ce que c’était. »

« Je suis en colère. Certains interpellés ont été tabassés et une dame s’est retrouvée à moitié nue avec la BRI chez elle. Nous sommes là dans la torture physique et psychologique et c’est inadmissible. Il faut que les gens se rendent compte de la violence de l’État. À titre personnel, la violence était psychologique car j’ai été privé de liberté pendant 72 heures de garde à vue à l’isolement, avec une lumière continue tout en dépendant des geôliers pour aller aux toilettes. Selon moi, les WC en cellule, cela doit être encore pire car demander à aller faire ses besoins et y être accompagné, c’est malgré tout une interaction avec un humain. Tout est fait pour mettre la pression, autoriser à garder des gens pendant si longtemps sans preuve c’est hallucinant.

Les policiers ont débarqué à l’appartement à 6h30. Ils ont pris en photo et saisi des fresques du climat en me questionnant sur ce que c’était, et même plus tard en audition. Encore en audition, on m’a demandé pourquoi je possédais un livre de recettes végan. C’est quoi le message ? Manger des légumes vous enverra bientôt en cellule ? Je suis resté 70 heures en garde à vue. Pour une fresque du climat et un livre sur le véganisme, ça fait quand même beaucoup. On vous donne de quoi à peine vous nourrir et la nourriture est mauvaise.

« On a trouvé un livre de cuisine végan chez vous, pourquoi ? »

Nous avons été interrogés trois fois : d’abord du type profilage très général. Qu’est-ce qu’un militant ? Que pensez-vous de l’écologie radicale ? Ensuite, le deuxième interrogatoire est plus personnel : « On a trouvé un livre de cuisine végan chez vous, pourquoi ? ». Enfin le dernier c’était pour faire avancer l’enquête, trouver des réseaux et demander si on connaît telle ou telle personne.

Ma porte n’a pas été défoncée et j’étais apparemment moins visé par les renseignements. Ce qu’incarne mon histoire, c’est qu’on peut aller en prison 70 heures car l’on porte juste des messages climatiques. Plusieurs fois, on a voulu prendre mon ADN et j’ai refusé mais il faut savoir qu’ils ont saisi des boucles d’oreilles ou des taies d’oreiller pour, selon moi, le faire sans l’accord des concernés.

On a dépensé des centaines de milliers d’euros pour enfermer des gens qui ont une fresque du climat chez eux au lieu de rénover des écoles. On vise à criminaliser, pressuriser et faire peur, en traumatisant consciemment des gens sur rien, juste pour éviter de se poser les bonnes questions. Le coupable dans cette histoire, c’est Lafarge. Pourquoi c’est nous que l’on a enfermés alors que c’est Lafarge qui a traité avec Daesh ?

Finalement, cette histoire me motive à continuer de faire des fresques du climat et de parler des migrations ou des sécheresses. Je vais aussi continuer de cuisiner végan. »

Jean

« On me tabasse pendant 30 secondes à une minute. Le médecin a constaté une quinzaine de coups qui ont été assénés dans mon ventre, les côtes et au visage. »

« Lundi, très tôt, j’entends des bruits de bottes dans le couloir. Tout à coup, ça part très vite et je comprends que ce sont des coups de bélier dans une porte, elle se brise et cela fait beaucoup de bruit dans tout l’immeuble. C’est celle du voisin. On entend de nombreux cris qui disent que c’est la police. Je pense alors à une opération antidrogue ou liée au terrorisme mais je ne fais aucun lien possible avec moi. C’est alors que j’entends cette phrase : « c’est pas lui ! ». Ça frappe à la porte d’un autre voisin, on ne lui laisse pas le temps d’ouvrir et j’entends à nouveau crier, on lui ordonne de se mettre à terre. Cela se rapproche de moi mais ma porte est blindée, ce sera plus difficile de la forcer.

Après les deux erreurs, quelqu’un frappe chez moi. Je leur ouvre et là, il y a la BRI sur mon palier, la même qui est intervenue à l’Hyper Cacher (la prise d’otages à Paris le 9 janvier 2015, NDLR) et des opérations anti-terroristes. Ils sont face à moi, avec tout leur équipement et me pointent leur fusil d’assaut. On m’ordonne de me mettre à terre, évidemment je m’exécute alors que je suis en caleçon et en T-shirt. il n’y a pas de menace. Je sens alors une botte qui appuie sur ma cage thoracique. Une autre personne est assise sur mes jambes et on me passe les menottes. C’est alors qu’on me tabasse pendant 30 secondes à une minute. Le médecin a constaté une quinzaine de coups qui ont été assénés dans mon ventre, les côtes et au visage. Quatre jours après, les coups restent très visibles. Je compte déposer plainte. Heureusement, un médecin a pu dresser un constat médical et même 10 jours après, c’est encore là.

La perquisition s’est déroulée avec des officiers de la police judiciaire qui jouaient au « good cop », en blaguant par exemple sur ce qu’il trouvait chez moi. Personnellement j’étais tellement hébété que ça ne prenait pas. La perquisition fut dense mais il ne recherchait pas grand-chose, à part mon téléphone.

« Quel paradoxe d’avoir affaire à une police antiterroriste qui, selon moi, a une utilité mais est utilisée ainsi pour une répression politique contre sa propre population et un ennemi intérieur fantasmé. »

J’ai donc été amené à Levallois à 150 km/h sur le périphérique, ce qui était un peu effrayant malgré mes yeux mal bandés par un masque pour dormir dans les avions.

Pendant les interrogatoires, on m’a par exemple questionné pour savoir si je connaissais les fresques du climat. J’ai trouvé ça totalement aberrant, car au fond, c’est un outil pédagogique. Il y a des questions auxquelles j’ai refusé de répondre parce que je suis contre le fait que l’on érige des profils politiques contre des gens qui élaborent des fresques du climat.

Pendant deux jours après l’intervention, j’ai gardé des migraines liées aux coups portés au visage. Je n’ai pas dormi la première nuit en y repensant. Entre cette violence et la torture psychologique de la garde à vue, l’effet est double. J’ai un sentiment de grande colère suite à tout cela.

Pendant ces trois jours, un officier de police judiciaire m’a avoué à demi-mots qu’il travaille normalement sur l’islam radical ou les attentats. De plus, il a ajouté que malgré que nous nous en étions pris à Lafarge, cette entreprise n’était pas son alliée. Il m’a rappelé que Lafarge avait financé à hauteur de 6 millions d’euros Daesh et qu’ils avaient leur part de responsabilité dans le terrorisme actuel. Quel paradoxe d’avoir affaire à une police antiterroriste qui, selon moi, a une utilité mais est utilisée ainsi pour une répression politique contre sa propre population et un ennemi intérieur fantasmé. »

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